Un baril de cornichons en guise de cadeau.
Chaque jour nous discutions du menu du lendemain. C’est Kim Jong-Il qui en avait décidé ainsi, soulignant qu’il avait d’excellents cuisiniers qui avaient étudié en France. On pouvait commander n’importe quel plat de cuisine russe, chinoise, coréenne, japonaise ou française. Habituellement le menu était composé de 15 à 20 plats. Kim Jong-Il était un gourmet mais il mangeait de manière très mesurée. Il prenait un peu de tout comme s’il avait voulu goûter tous les plats.
A table, Kim Jong-Il était aussi habile avec fourchettes et couteaux qu’avec des baguettes en argent. J’avais appris à utiliser les baguettes lors de mes voyages en Corée du Nord et du Sud. Un jour je remarquai qu’il y avait de la langouste au menu, un crustacé dont j’avais entendu parler mais que je n’avais jamais vu. Kim Jong-Il dit quelques mots au serveur qui aussitôt apporta une langouste sur un plateau. « Voilà une langouste, regardez à quoi cela ressemble », dit Kim Jong-Il. (…).
Une autre fois, le leader nord-coréen proposa un borchtch pour le lendemain. Le borchtch ressemblait à ce que les Russes ont l’habitude de préparer mais il lui manquait quelque chose. Ou alors au contraire il y avait trop d’épices asiatiques qui masquaient la saveur de l’authentique borchtch russe ou ukrainien. J’appréciais la soupe aux ailerons de requin. Nous avons goûté un autre plat national le guksu, les pâtes coréennes. La table était généralement couverte d’amuse-gueules coréens et au dessert on servait des gâteaux originaux, des glaces, du thé et du café. Quand nous restions en tête-à-tête, Kim Jong-Il prenait du café. Moi je préférais le thé. Les Coréens ajoutent du ginseng au thé, comme ils le font dans de nombreux plats. Pour moi, ce fut une découverte.
J’ai l’impression que pour la préparation des plats , ils utilisaient notre eau. Les produits alimentaires étaient entreposés dans des containers d’environ 1 m³. Lors de notre arrêt à Omsk, les Coréens nous demandèrent de leur fournir des camions. En fait un avion était arrivé à Omsk venant de Corée du Nord et chargé de produits frais. L’avion remporta d’autres containers scellés qui contenaient vraisemblablement des déchets. La même procédure eut lieu à Moscou, Novossibirsk et Khabarovsk.
Un beau jour Kim Jong-Il déclara qu’il aimait bien le lard. Il évoqua aussi les cornichons à la russe, les pelmeni (sorte de raviolis), le pain noir. Quand nous traversions la Sibérie je téléphonai au gouverneur de la région d’Omsk et je lui conseillai d’inclure tout cela dans son menu. A Omsk lors de la réception on apporta de la poitrine fumée. Kim Jong-Il y goûta. « Ce n’est pas ça, dit-il, ce n’est pas du lard ». Les cornichons étaient marinés, ils venaient du Bulgarie. Il remarqua de nouveau que les cornichons russes sont marinés dans un tonneau et que le sel leur donne une couleur plus sombre. Mais le pain, lui plut. Il apprécia aussi la vodka d’Omsk qu’il goûta du bout des lèvres. On servit des pelmeni tout petits, dans une petite poêle, cuits dans du fromage et de la mayonnaise. « Qu’est-ce-que c’est que ces pelmeni!, s’exclama Kim Jong-Il. Il doivent être gros, bouillis et servis avec du bouillon ! ».
Heureusement, à Saint Pétersbourg où j’avais appelé le gouverneur, on servi à Kim du vrai lard russe, des vrais cornichons russes et des vrais pelmeni russes. Kim Jong-Il était enchanté.A notre retour à Khassan je lui donnai un baril de cornichons. Un cadeau sans prétention qui j’espère lui rappela la Russie.
Prochain chapitre : Une fête dans le train