A travers la Russie avec Kim Jong-Il (5)

Une fête dans le train

C’était le 15 août et le train roulait de Belogorsk à Tchita. Kim Jong-Il décida d’organiser une réception en l’honneur du jour de la libération de la Corée. Je lui conseillai d’inviter des journalistes qui informeraient le monde entier que le leader de la Corée du Nord avait célébré en Russie la fête nationale coréenne.

Mais j’avais un problème : je n’avais rien à offrir à la délégation coréenne. Je téléphonai au commandant de la région militaire de Sibérie, Vladimir Boldarev, et lui demandai de me tirer d’affaire. Il me répondit de ne pas m’inquiéter et qu’il enverrait un cadeau dont je n’aurais pas à voir honte. A Tchita il nous apporta une grande et belle boite. Je l’ouvris et me rendis compte qu’il avait effectivement trouvé un beau cadeau. Dans ce coffret tendu de tissu vert il y a avait un pistolet-mitrailleur soviétique PPSh flambant neuf, identique à ceux utilisés par les soldats russes pendant la 2e guerre mondiale.

Ce jour-là, avant la fête, nous avions discuté en tête-à-tête pendant environ 5 heures – soit plus que d’habitude. Kim Jong-Il avait proposé d’écouter des chansons russes et coréennes. Il avait beaucoup de disques et appréciait tout particulièrement certaines chansons. Il les chantait avec nous et nous corrigeait même sur certains couplets.

« J’ai grandi dans une famille d’un militaire qui devait servir dans des garnisons éloignées. Les chansons populaires russes, les chansons soviétiques de cette époque, on les entendait souvent chez nous. C’étaient les chansons de ma jeunesse et je les aime beaucoup », dis-je à Kim Jong-Il qui m’écouta et me dit qu’il lui était agréable de « trouver une âme proche ».

Lors de la fête, le ministre des transports de Corée du Nord indiqua qu’il y avait parmi les personnels du train des jeunes femmes qui chantaient très bien. Kim Jong-Il leur demanda de venir. Un groupe de très jolies jeunes femmes entra dans le wagon, elles devaient avoir une vingtaine d’années. J’ai pensé que ces jeunes femmes devaient être des actrices professionnelles, que l’on avait spécialement fait participer au voyage même si le ministre présenta leur interprétation comme totalement improvisée. (…)

Le Grand Général

Avant la visite de Kim Jong-Il on m’avait prévenu que le leader de la Corée du Nord n’aimait qu’on lui donne du « Monsieur ». J’essayais d’éviter ce mot. Les ministres coréens, les membres de la sécurité parlaient immanquablement du « Grand Général », du « Cher Leader ». Au début nous, les Russes, étions un peu choqués, mais nous nous sommes vite habitués et lorsque nous échangions avec des responsables coréens nous disions sans y faire attention : «  transmettez au Grand Général ». Je m’adressais souvent au leader Nord-coréen en lui disant « camarade Président », ou « Président Kim Jong-Il ».

Notre première rencontre donna le ton de nos entretiens. Lors d’une interview, Kim Jong-Il avait indiqué qu’il aimait être entouré de militaires. « C’est exact, me confirma-t-il, je trouve cela très agréable. J’aime visiter des unités militaires, rencontrer des officiers, des généraux, voir s’ils sont prêts à défendre le pays. Quand je me rends compte qu’ils remplissent leurs obligations consciencieusement, qu’ils servent les intérêts de leur pays, cela me procure une grande satisfaction en tant que chef d’État. ». (…)

A propos des femmes russes et de Madeleine Albright

Je remarquai que les intérêts de Kim Jong-Il étaient très variés et qu’il avait le sens de l’humour. Nous discutions de tout et parfois sur des thèmes tout à fait inattendus. Il m’apprit par exemple que des jeunes femmes russes travaillaient au cabaret parisien du Lido. Quelques 80 % des filles du Lido sont Russes, selon des statistiques que Kim Jong-Il avait reçu de l’ambassade de Corée du Nord à Paris, ajoutant qu’il y avait aussi des Chinoises mais que les Russes étaient plus jolies.

Kim Jong-Il m’a indiqué que les médecins lui avaient recommandé de boire chaque jour une demi-bouteille de bon vin rouge. Kim Jong-Il préfère le bordeaux ou le bourgogne et quelques bouteilles lui avaient été envoyées de Paris pour son voyage. (…)

Kim Jong-Il changeait facilement du sujet. Une fois il se souvint de sa rencontre à Pyongyang avec Madeleine Albright. Il lui demanda comment elle avait pu accepter de rencontrer le dernier des « diables communistes ». « Albright m’a soumis à un véritable interrogatoire. Je répondis à toutes ses questions tandis qu’elle se demandait si je parlais naturellement ou ne faisais que répéter des phrases apprises par cœur. J’exprimai simplement mes idées et je crois qu’elle apprécia ce trait de mon caractère. ». Un diplomate coréen de l’entourage de Kim Jong-Il précisa : «  les fonctionnaires du Département d’État américain qui étaient à Pyongyang disaient qu’Albright était enchantée par notre Général et lui tint la main pendant toute la réception. De plus elle avait changé de broche remplaçant le drapeau américain par un petit cœur. » (…)

Des honoraires de 1.000 dollars

Sur le chemin du retour, alors que nous traversions la région de l’Amour, Kim Jong-Il déclara au cours d’un repas qu’il était disposé à récompenser les accompagnateurs russes en leur accordant à chacun 1.000 dollars et 300 dollars pour les fonctionnaires chargés de sa sécurité. Je lui répondis que nous ne pouvions l’accepter et que nous serions obligés de remettre cet argent aux services de l’Administration présidentielle russe.

« Mais je dois vous récompenser, dites moi comment faire », déclara Kim Jong-Il.

Il y avait dans notre équipe un diplomate expérimenté qui indiqua au leader nord-coréen qu’il disposait de quatre variantes pour nous récompenser. La 1e : s’adresser au président russe pour qu’il  exprime sa reconnaissance envers tous ceux qui avaient travaillé avec l’hôte coréen. Kim Jong-Il déclara que c’était facile et qu’il écrirait en ce sens au président Proutine. Selon la 2e variante, Kim Jong-Il pouvait nous remettre des médailles coréennes. Le leader approuva également cette variante et déclara qu’il le ferait. La 3e variante pouvait être une invitation à l’Ambassade de Corée du Nord à Moscou le jour anniversaire de Kim Jong-Il pour commémorer son voyage en Russie. Le leader nord-coréen approuva cette 3e variante. Quand à la 4e elle pourrait consister a mettre en œuvre les trois premières proposa finement le diplomate. Quelle fut la variante choisie par Kim Jong-Il?

On l’ignore jusqu’à ce jour.

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