La Route Morte (3 der)

Mais la ligne ne devait jamais arriver à Mys Kamenny. En 1948 une expédition découvrit une erreur fatale dans le projet du Kremlin. Il apparut, sans doute au grand dam de la direction stalinienne, que la région de Mys Kamenny était inadéquate à l’installation d’un port maritime dans la mesure ou la profondeur du Golfe de l’Ob y est inférieure à 5 m et de seulement 1,5 m près de la berge. Après cette « découverte » tardive les constructeurs avaient le choix entre creuser le fond du Golfe jusqu’à 10 m de profondeur ou abandonner le projet. Même le stalinisme n’était pas de taille pour réaliser la première variante. Et c’est pourquoi le 29 janvier 1949 le Conseil des Ministres de l’Urss, décida, même si les dépenses engagées correspondaient déjà à près de la moitié de la voie vers Mys Kamenny, d’arrêter les travaux. A ce moment-là seul un court tronçon menant de Tchoum à Labytnangui avait été construit.

Malgré cette monstrueuse erreur administrative, qui avait coûté très cher à l’économie du pays, le Politburo ne renonça pas à son entreprise fantaisiste de construire un port gigantesque sur l’Arctique. Le même décret de janvier 1949 prévoyait un nouvel emplacement, encore plus loin vers l’Est, sur le fleuve Ienisseï. Il fallait donc désormais construire un voie de chemin de fer le long du cercle polaire sur 1.300 km de la ville de Salekhard sur la rive droite de l’Ob, en face de Labytnangui, jusqu’au village d’Ermakovo, sur la rive gauche de l’Ienisseï puis jusqu’à Igarka sur sa rive droite (à envrion 300 km au nord de Touroukhansk où Staline avait été exilé avant la révolution).

Cette variante était présentée par la direction comme une nouvelle réalisation de la pensée communiste et comme la première tranche du Transsibérien du Nord dont rêvait le régime stalinien. On disait qu’à partir d’Igarka, la voie serait prolongée vers le Nord, vers Doudinka et le combinat métallurgique de Norilsk et ensuite vers l’Est jusqu’à la Kolyma et les mers d’Okhotsk et de Béring . Ainsi, la voie de chemin de fer pourrait relier tous les camps de concentration nord-sibériens du GOULAG. Et de cette façon, soulignaient les concepteurs, la nature inhospitalière de la Sibérie serait vaincue. Ils affirmaient que la ligne Salekhard-Igarka faciliterait le développement de la région, l’approvisionnement des villes situées au-delà du cercle polaire en reliant le Nord-Est de la Sibérie au réseau ferroviaire européen de l’Urss. La liaison se ferait grâce au tronçon déjà achevé, Kotlas-Vorkouta, construit par les esclaves du GOULAG et dont la gestion est passée du MVD au Ministère des Transports. Cette voie ferrée permettait d’acheminer le charbon de Vokouta, le pétrole d’Oukhta et le bois provenant de divers camps de la région vers le centre de l’Urss. Sous chaque traverse de la ligne Kotlas-Vorkouta, repose un zek, selon un proverbe de l’époque.

Le décret de janvier 1949 exigeait que les travaux de la ligne ferroviaire Salekhard-Igarka commencent le plus vite possible.

Et personne n’osait donner un avis contraire car le décret du Conseil des Ministres était signé par le tyran communiste en personne – le camarade Joseph Staline.

2. La chasse au fantôme

Le quartier général de la construction était temporairement installé à Salekhard. Les volontaires étaient logés dans des appartements privés. La direction de la construction occupait un bâtiment scolaire. Non loin de là, une parcelle, destinée aux zeks, était entourée de barbelés. La scierie de Salekhard avait été réquisitionnée. Des zeks y travaillaient et elle était donc devenue une entreprise esclavagiste, surveillée par des gardiens de camps. D’autres rangées de barbelés ont été dressées plus loin, le long de la rive de la rivière Poluy, où la pose des rails avait commencé à la gare de Salekhard. Les zeks été amenés par camions sous escorte et si les camions manquaient ils venaient à pied, entourés de gardes. Les matériaux de construction ainsi que l’équipement et les machines nécessaires été acheminés via Labytnangui.

(…)

Partis de Salekhard, les constructeurs ont avancé vers l’Est, en direction de Nadym. Ils ont dû entamer les travaux immédiatement après la publication du décret du Conseil des ministres, en plein hiver polaire, sans prospection préalable, ni projet, ni documentation. Le long d’une route tracée à la hâte ont été installés des villages de prisonniers, héros involontaires de ce nouveau grand défi communiste. Surveillés par des gardiens, mitraillettes au poing, les prisonniers ont construit eux-mêmes les camps où ils ont du vivre.

Afin d’accélérer les travaux, la direction 501 du Goulag qui venait d’abandonner la construction de la voie ferroviaire vers Mys Kamenny, a été divisée en deux  : la direction Ob 501 installée à Salekhard, et chargée la construction de la partie ouest de la ligne ferroviaire et la direction Ienisseï 503, installée à Igarka, chargée de la partie est.

Les deux tronçons devaient se rejoindre à Ourengoï en 1952-1953, approximativement au milieu de la ligne d’environ 1.300 km de long. La direction des travaux s’était rendu compte qu’il était impossible de construire rapidement un ligne de chemin de fer sur un sol gelé en permanence. C’est pourquoi on décida de poser les rails tout du long à la va-vite et de terminer l’ouvrage par la suite.


(…)

Les dirigeants suprêmes de l’Urss ont commencé à se désintéresser du projet en 1951. Pour une raison quelconque, l’idée de construire un port près de l’Arctique avait perdu de son attrait pour Staline. Le Politburo considérait désormais que la décision de construire la ligne Salekhard-Igarka avait peut-être été un peu trop téméraire. Malgré les efforts des constructeurs, les tronçons de voie construits restaient très médiocres : les trains n’y dépassaient pas 15 km/h et déraillaient souvent.

Le 25 mars 1953, soit à peine 20 jours après la mort de Staline, le gouvernement de l’Urss décida par décret N°895-383cc d’abandonner le construction de la ligne de chemin de fer Salekhard-Igarka.

A ce moment-là la direction 501 du Goulag avait achevé 400 km de voie ferré depuis Salekhard, et la direction 503, 160 km depuis Igarka.

Après l’adoption du décret mettant un terme à la construction, la ligne a rapidement périclité pour devenir ce que l’on appelle désormais « la Route Morte ».

Au plus fort de la construction il y eut sur ce chantier de 70.000 à 100.000 zeks.

Fin

 

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