Le Prophète et Pharaon, un livre phare de Gilles Kepel

« Je suis Khalid al Islambuli, j’ai tué Pharaon et n’ai pas peur de mourir », a crié l’assassin  d’Anouar al Sadate une fois le crime accompli.
Sadate a été assassiné le 6 octobre 1981 lors d’une cérémonie pour commémorer le 8è anniversaire du déclenchement le 6 octobre 1973 de la guerre contre Israël et la télévision égyptienne a filmé la scène en direct : les quatre hommes descendus d’un camion militaire mitraillant la tribune officielle où Sadate a pris place, sanglé dans son uniforme de parade. Dans les jours qui suivront les Egyptiens visionneront à satiété la vidéo du crime.

Un nombre record de dignitaires du monde entier assistera aux obsèques. Mais le peuple boudera les funérailles. L’assassinat avait eu lieu alors que l’impopularité du président atteignait des sommets et Khalid al Islambuli est apparu alors comme le « bras armé » de la volonté populaire.
Mais le crime spectaculaire, qui dans l’esprit de ses auteurs devait changer l’Egypte, est au bout du compte restée pratiquement sans suite. Sadate a été remplacé par son vice-président Hosni Moubarak et la répression contre les islamistes s’est déchaîné de plus belle.
Le récit de l’assassinat de Sadate vient clore le livre de Gilles Kepel  « le Prophète et Pharaon » paru en 1984 aux Editions La Découverte et que Gallimard a choisi de rééditer dans la collection « Folio histoire » avec un « avant-propos » de l’auteur, rédigé fin 2011 et qui remet le texte originel en perspective.
A 30 ans d’intervalle le livre n’a pas pris une ride. Mieux, il trouve une seconde jeunesse car ce que Kepel a découvert il y a trente ans permet d’expliquer et de comprendre l’inattendu et inespéré « printemps arabe » parti de Tunisie pour atteindre l’Egypte, la Libye, le Bahreïn, le Yémen, la Syrie et bouleverser un monde que l’on croyait figé.
A l’époque où Kepel a écrit son livre les étudiants du Caire descendaient dans la rue au nom d’Allah pour changer l’ordre social et réclamer l’application de la loi islamique. Pour rendre compte de leur action et de leur projet Kepel a inventé la formule « mouvements islamistes », s’écartant ainsi des termes d’ « intégrisme » ou « fondamentalisme ». Les militants qu’il a rencontrés à l’époque ont presque tous joué un rôle-clef par la suite.  Ayman al-Zawahiri anciennement à la tête de l’organisation paramilitaire du Jihad islamique égyptien est devenu le chef d’Al-Qaïda. Isam al-Aryan est porte parole des Frères Musulmans, Abd al-Monim Aboul Foutouh  est le candidat « islamo-démocrate » à la présidence de la République.
Les « mouvements islamistes » ont oscillé entre le jihad et le terrorisme d’un côté, la démocratie et l’économie de marché de l’autre. Mais dans un cas comme dans l’autre la même doctrine religieuse a été conservée et semble vouloir désormais détourner à son profit les  avancées du « printemps arabe ».
La période étudiée par Kepel, la fin de l’ère Sadate et le début de la présidence de Moubarak est certes très différente de la révolution égyptienne de 2011. Mais Kepel donne a son lecteur les clefs pour comprendre les événements qui actuellement bouleversent le monde islamique et même si l’histoire ne se répète jamais à l’identique les similitudes sont troublantes. A lire absolument ou à relire d’urgence.

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